Homélie du frère Jean-Marie Zanga, prieur du couvent dominicain de Nice
Un regard clair, un sourire irrésistible, des mains que les ans et le labeur avaient rendues superbement noueuses : assurément, notre frère Martin ne passait pas inaperçu ! Il forçait la sympathie, il inspirait confiance.
C’était un grand monsieur. Et un vrai dominicain ! D’abord Frère des Ecoles Chrétiennes, il avait « mal tourné », aimait-il à plaisanter, en entrant chez les Prêcheurs, au lendemain de la Guerre. Imaginez-vous un peu : descendant du train à la gare de Toulouse, il avait alors suivi jusqu’à son couvent un frère qui passait par-là. Quelques mois plus tard, il recevait l’habit de l’Ordre comme frère coopérateur : cela ne s’invente pas !
De Saint-Maximin à Montpellier, de Bordeaux à Nice, il a servi, il s’est dépensé. A la porterie, à la sacristie, à la cuisine. Ses omelettes étaient légendaires ! Peut-être ont-elles contribué à encourager dans leur vocation tant de jeunes frères pour lesquels Martin n’hésitait pas à se mettre en quatre… Comme son aîné du couvent de Lima au dix-septième siècle, S. Martin de Porrès, il visitait aussi les malades et leur portait la communion. Avec le Pèlerinage du Rosaire, pendant plus de quarante ans, il les a accompagnés à Lourdes.
Frère Martin : il parlait volontiers ! Mais il savait se taire. Il ne se payait pas de mots : il prêchait par toute sa vie.
Pour être dominicain, il n’en était pas moins slovaque et slovaque jusqu’au bout des ongles. Au fil du temps, l’église du couvent de Nice est devenue le passage obligé des pèlerins slovaques se rendant à Lourdes, auxquels Martin n’était pas peu fier d’adresser pour l’occasion un fervorino dans sa langue maternelle.
Lui-même a dû attendre les années 90 pour retourner dans son village des Monts Tatra et revoir sa sœur qu’il avait quittée à douze ans. De sa famille, il se sentait d’ailleurs très proche, entretenant avec elle comme avec beaucoup d’autres une correspondance de ministre !
A la fin, il a connu l’épreuve. Lui si actif, voire intrépide, s’est retrouvé soudain dépendant. « Maintenant, dans votre grand âge, c’est aussi à vous d’apprendre à être servi » : cette phrase du Provincial pour ses soixante-dix ans de profession, Martin la citait régulièrement en pesant bien chaque mot. Comme quoi elle avait tout de même du mal à passer ! Toujours est-il que c’est véritablement dans la foi et dans la foi au Christ qu’il l’a accueillie, se laissant dépouiller, se laissant simplifier, sans jamais se départir de sa joie.
Quelle belle vie a été la sienne ! Bien remplie, pas toujours facile, heureuse au sens des Béatitudes de l’Evangile. Car Martin n’a pas attendu le ciel pour être heureux. « Je suis heureux », affirmait-il avec toute l’énergie du vivant qu’il était, fin, lucide, intelligent, jusqu’au bout ouvert à tous et à chacun.
Ses bons mots vont nous manquer : « C’est la fête au village ! », « Alleluia ! », « Nous sommes comblés ! »… Quel as, frère Martin ! Avec lui, au Paradis, ils ne vont certes pas s’ennuyer !
La vie continue, plus belle, plus savoureuse de l’avoir rencontré. « Je n’ai rien à vous offrir », disait-il encore, « ni fleur, ni bonbon, ni chocolat : mais je prie pour vous ! » Soyons-en sûrs : il va continuer à tenir parole. Merci, Martin !
Eglise Saint François de Paule, Nice, le jeudi 27 février 2020
Le frère Martin est décédé le matin du samedi 22 février 2020