S’il veut être un authentique témoin de l’Évangile, le frère prêcheur dominicain doit d’abord être un « orant ». Alors il rejoindra le Seigneur non seulement dans la préparation de ses sermons et conférences, mais dans le fait même de parler. Sa parole le renverra alors, comme après coup, à une nouvelle rencontre de son Seigneur, plus profonde peut-être que celle qui a précédé. Et ainsi de suite. Car il ne faut pas interpréter à sens unique et de manière trop matérielle le célèbre texte de saint Thomas : « contemplare et contemplata aliis tradere ». La contemplation ne doit pas seulement précéder la prédication. L’annonce du message vivifie et enrichit, si nous savons être attentifs, notre relation vécue avec Dieu. Heureux ceux qui dans l’Ordre ont mission de prêcher la foi ! Il peut leur être plus facile qu’à d’autres d »être de vrais contemplatifs selon saint Dominique.
Mais l’étude dominicaine ne s’arrête pas à la Bible, quelle que soit son importance et son rôle inspirateur. Vous connaissez l’antienne de la fête de saint Albert le Grand tirée de ses oeuvres « La théologie est plus proche de la prière que de l’étude ». En d’autres mots, elle est plus contemplative que spéculative. D’aucuns diront peut-être qu’en parlant ainsi saint Albert semble plus proche de saint Bonaventure que de saint Thomas. Peut-être. En tout cas, c’est une façon heureuse de souligner la dimension contemplative qui doit marquer toute réflexion théologique.
Chez saint Thomas d’Aquin, cette dimension était d’autant plus réelle et perceptible que sa pensée se situait au niveau d’une philosophie de l’être, ce qui permettait une perception profonde et une systématisation de l’ensemble de la doctrine chrétienne. Tous les éléments de la Révélation étaient organisés, les uns par rapport aux autres, dans une véritable « vision de sagesse » qui attirait le regard contemplatif.
Un pourrait aussi bien prendre un autre exemple : celui de l’ « obéissance » telle qu’on la comprend de plus en plus aujourd’hui. Comme hier, comme toujours elle doit permettre au religieux dominicain de connaftre la volonté de Dieu sur lui et de s’y conformer. Mais alors que jadis le supérieur était seul chargé de cette recherche, aujourd’hui celle-ci passe de plus en plus par la mise en commun et la discussion des membres de la communauté souvent en présence du religieux en cause. Comme le dit le père Tillard, le religieux « obéira à une volonté de Dieu qu’il n’aura pas été seul à percevoir, mais qui le rejoindra grâce à d’autres, et qui souvent ne correspondra pas à ce que seul il aurait cru percevoir ». Cette recherche commune se vivra grâce à un « discernement communautaire » qui tâchera de découvrir comme à tâtons la vérité, à travers les lumières et les questions que chacun apportera à la discussion. De l’Esprit-Saint surtout on attendra à chaque instant la lumière et la certitude qui ne peuvent venir que de Lui. Et la présence, au cours de cette recherche des neuf aspects du fruit de l’Esprit selon saint Paul aux Galates (chap. 5, 22-23) : charité, joie, paix etc, pourra être comme le signe de la présence de l’Esprit-Saint en attendant que le supérieur, mis au courant de tout le cheminement auquel il aura peut-être participé, dise le dernier mot.
“ La dimension contemplative de notre vie dominicaine “
Conseil interprovincial des États-Unis le 30 juin 1982 à Providence Collège.
fr. Vincent de Couesnongle, o.p.